En hommage au rideau du théâtre Gabrielle Dorziat
Rideau rouge de mon enfance
Il a bleui il s’est terni
Devenu gris s’est évanoui
Et quelquefois j’ai envie
D’entrer dans la salle à reculons pour ne pas voir
Voir trop tôt
Ce qui se trame derrière le rideau.
Trop tôt ?dites-vous ? Allons donc la mode est d’attendre debout et dehors
Vous attendrez, le dernier instant
Pour entrer dans un décor omnipotent.
On dit osmose, imprégnation, interaction
Dissolution et confusion.
Abolissons les frontières !
Moi je l’aimais, cette barrière :
Elle était ride, elle était eau
Ride ondoyante quand l’acteur
Par maladresse le frôlait, par derrière, avec son derrière.
Ils étaient là : nous avions rendez-vous.
Elle était eau et fleuve vivant : j’allais rejoindre l’autre rive.
De vrai velours, un peu râpé un peu fripé comme un visage vieilli d’avoir trop souri.
Il avait même un trou … tout petit …. A auteur d’œil.
De la cour au jardin, il tissait le monde sacré du comédien.
Le rideau se lève- ce n’est pas un vain mot –
Tirant mon regard vers les cintres vers les cieux.
Quelquefois il hoquetait, ratait son élan,
Quand le concierge-officiant tirait la corde.
Oui, une corde, même pas synthétique.
Qui glissait faisant « chut » première réplique.
Et le public faisait « oh »
Et ne pensait pas à éteindre son portable.
Le fruit coupé en deux de la salle et de la scène, mêlant leurs frémissements,
Se reformait pour que j’y morde à belles dents.
A l’entracte le rideau cabotinait,
Faisait son numéro et retombait
C’était pour du faux et personne ne lui en voulait.
Il est tombé. Tombé en désuétude
Rideau !, le rideau.
Place aux mondes nouveaux : j’ai tout écrit à l’imparfait.
OK
Mais je l’aimais bien, moi, le papier-cadeau.
Françoise GRAUX